11 September [1914]. Op straat durf ik het [dagblad] niet te ontplooien (…) Dat ik het op zak heb, is voor mij het bewijs dat Gent niet is ingenomen.

Karel van de Woestijne (1914)

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Jean Ray : *Le Livre des fantômes*, in : Oeuvres complètes (1947), geciteerde ed. 1963, t.I, p. 121-123
Rues (document)

In ‘Rues’ roept Jean Ray de stad Gent op als een fantastisch universum, een andere werkelijkheid waarin elk huis, elke straat zijn ‘skeletten’ heeft… of een magische patisserie!

Il est des rues où je ne puis passer sans frémir.
Pourtant rien dans leur aspect ne choque, ni n’effraye; elles sont quelconques, sans visage, et même parfois attrayantes.
Vous pourriez croire que des malheurs ou des crimes anciens y ont laissé leur relent et influencé mes nerfs, puisque chaque maison, chaque rue ‘possède son squelette’, comme l’a dit Dickens.
Il n’en est rien; la raison doit se situer au-delà des souvenirs et des faits, se passer de notre humaine horreur des larmes et du sang répandus.
(…)
Mais je sais des rues où jamais rien ne se passa de pareil, qui jamais ne se sont départies de calme et de vertu, et qui ont pour moi le visage vert de la peur. Mes nerfs n'y sont pour rien; c'est mon subconscient qui est entré en jeu; c'est l'autre plan, le terrible plan hypergéométrique, quadri-dimensionnel, qui est en cause.
C'est ce que j'appellerai le potentiel de la rue qui, en partie, crée mon épouvante. Enfant, je suppliais mes parents de ne pas me faire passer, au cours de nos promenades, par une certaine rue, proche de la cathédrale Saint-Bavon de Gand.
Une petite rue provinciale aux maisons basses et paisibles, sentant l'encens et les aigres parfums des pieux carêmes.
Mes parents haussaient les épaules et, comme ils n'encourageaient guère mes caprices, me giflaient et me faisaient marcher devant eux par la rue abhorrée. J'en étais littéralement malade.
Plus tard, cette crainte se dissipa; mais néanmoins j'évitais la rue. Un jour, j'avais quelque vingt ans à cette époque, entre chien et loup, en longeant le vieux séminaire, une furieuse averse me surprit. C'était, je crois, par une soirée de fête et j'avais hâte de rentrer chez moi, où bien des plaisirs m'attendaient. Je pris au plus court: par ladite rue.
Or, voici qu'une des petites maisons bourgeoises avait été transformée en une pâtisserie de bonne mine. Ah! quel amour d'officine sucrée!
Un lustre à pendeloques de cristal jetait l'arc-en-ciel par poignées sur un comptoir blanc où trônaient les vastes pièces montées d'antan, aux remblais de nougat brun. Sur les étagères s'alignaient les théories des bocaux en casque à mèche, bourrés de croquignoles, de darioles au beurre, de meringues amandines. Une pyramide de petits fours au massepain m'attira. Je poussai la porte et un carillon japonais aux notes sautillantes annonça le client. Personne ne vint.
J'appelai: "Quelqu'un?" Mais mon appel resta sans réponse.
Une draperie de peluche grenatés parait le magasin de l'arrière-boutique. Je la soulevai et découvris un petit salon de consommation très coquet, un véritable nid de blancheurs irisées. La fenètre était obturée par de beaux vitraux de couleur; ils étaient éclairés de derrière par le reflet de ce que je crus être un grand feu fort agité.
Je lançai un deuxième et vain appel.
Une porte latérale devait donner sur un couloir intérieur: elle était fermée et je ne pus l'ouvrir.
Au-dehors la pluie faisait toujours rage et l'obscurité s'épaississait. Je pris une soudaine résolution devant tant d'indifférence.
Je raflai la pyramide et en bourrai deux grands sacs de papier, en disant: "Je reviendrai payer cela demain".
Les petits fours furent déclarés excellents; tous ceux qui en goùtèrent durent avouer n'en avoir jamais mangé de meilleurs, et c'était vrai.
Je ne retournai pas le lendemain à la pâtisserie, mais quelques jours plus tard. Elle n'y était pas ou plus, mais je me trouvai devant la petite maison bourgeoise que j'y avais toujours vue!
J'allai aux informations chez un coiffeur voisin.
- Une pâtisserie? Il n'y en a jamais eu, s'écria le brave homme, et il y a plus de vingt ans que je suis établi ici.
Or, un triple témoignage prouve que je n'ai pas été victime d'une vision: au moment où l'averse me surprit sur le parvis de l'église Saint-Bavon, j'étais en compagnie de mon compagnon d'études Félix Windey et, en sortant de la rue, à l'angle de la rue du Miroir, je me heurtai à ma voisine, Mme Boone qui me dit:
- Vos sacs de papier vont se mouiller et crever. Donnez, je les mettrai dans mon cabas.
Ce qu'elle fit, et nous fîmes également route ensemble.
Et les petits fours, nous les avons mangés et nous avons été huit ou dix à les trouver délicieux!

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[Auteurs] Ray, Jean